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Idées pour soutenir un commencement

Lors de cette dernière décennie, les discours sur l’avenir ont occupé une place centrale dans la pratique de l’art contemporain, comme un symptôme de la « lente annulation du futur » que nous vivons. Il est maintenant urgent de nous demander : comment habiter le vide laissé par l’absence de futur ? Comment le faire dans les arts performatifs ?

D’après Mark Fisher, « tout ce qui existe est rendu possible par une série d’absences qui le précèdent, l’entourent, et lui accordent une consistance et une intelligibilité ».

Mais le néolibéralisme, notre système écono- mique, cognitif, affectif et culturel, ne nous a pas seulement libérées d’un futur dans lequel nous n’avons jamais été incluses, il a en plus « subsumé et consumé les récits antérieurs », provoquant un « épuisement du nouveau qui nous prive même du passé ».

Mais si l’Histoire n’est, comme le pensait Schelling, qu’une « répétition d’alternatives », les fantasmagories de certains « futurs annulés » continuent d’opérer parmi nous et renferment des disruptions d’où il est possible de reconstruire le présent.

À une époque où la spectacularisation de la réalité a fait que « plus on regarde moins on est », où le régime de la visibilité nous attrape dans « un jeu où personne ne joue mais tout le monde regarde », et où nous ne cessons de consommer des images, est-il encore possible d’échapper à notre condi- tion de spectatrices ? Conscient du fait que « la vie se joue maintenant, et maintenant, et maintenant », le théâtre, aujourd’hui plus que jamais, se révèle être un espace où transformer ce paysage épuisé.

Dans Una imagen interior, El Conde de Torrefiel poursuit les lignes des pièces précédentes comme Guerilla ou La Plaza, mais en menant sa recherche plus loin, en imbriquant passé et futur dans la contraction du présent. Si son attention pour le temps, matière élémentaire du fait scénique, l’a jusqu’ici amenée à tra- vailler de méticuleux engrenages à propos de dystopies probables ou de l’impuissance des sociétés actuelles, la compagnie pro- pose maintenant de reconstruire des « futurs annulés » pour rendre à la scène son agenti- vité – ou capacité d’action – grâce à la puis- sance de la fiction et, dans le cas présent, de l’ultrafiction.

On nomme hyperstition l’idée performative qui génère sa propre réalité, la fiction qui crée l’avenir qu’elle prédit, la science expérimen- tale des prophéties autoréalisatrices. Dans un monde forgé à partir d’hyperstitions, de fictions légitimées en tant que réalité, où la vie s’atrophie dans le devenir virtuel de sa propre image, El Conde de Torrefiel propose cette fois l’érotisme de l’imagination comme alternative radicale aux fictions et aux images qui nous gouvernent.

Les stratégies du reenactment, qui habituel- lement se contentent en art de recréer ou de changer de contexte les faits sur lesquels s’est érigée l’Histoire, pourraient servir à in- voquer des possibles qui ne se sont jamais réalisés. Le reenactment permet ainsi dans Una imagen interior de s’infiltrer dans les faits eux-mêmes pour faire en sorte que d’autres choses adviennent. En jouant, comme à l’ha- bitude de la compagnie, sur la relation entre Histoire et histoire, et en créant un artefact chargé de présents qui n’ont pas pu éclore dans la réalité. Car il n’y a qu’au théâtre qu’il est possible de faire ça.

Dès notre naissance, nous représentons les fictions dans lesquelles nous sommes plongées, reproduisant encore et toujours les histoires qu’on nous livre toutes faites et dont nous connaissons le déroulement et la fin à moins que nous y changions quelque chose. Nos vies sont des hyperstitions ou des reenactments, des prophéties autoréa- lisatrices de ce qui devrait arriver dans tous les domaines : l’amour, le travail, la sexualité, la politique, l’amitié ou le théâtre. Mais com- ment ébranler le cours implacable des évé- nements ? Où trouver la disruption ? Si réalité et fiction n’ont jamais été opposées, mais si au contraire la réalité ne peut se comprendre que comme une somme de fictions, alors peut- être que seules les ultrafictions sont à même de bouleverser les fictions.

On peut donc retourner les armes de l’hyperstition et du reenactment en notre faveur, en mobilisant des présences fantomatiques pour résister aux narrations hégémoniques de la ré- alité. Face à la spectacularisation de celle-ci, il est peut-être possible de reconstruire l’horizon depuis le vide engendré par l’absence de futur, depuis « le néant qui peut tout devenir, le fond d’où l’on peut à nouveau rebondir ».

Ce travail d’El Conde de Torrefiel renverse l’une des maximes de la société actuelle, car plus on regarde, plus on est, quand, dans Una imagen interior, la possibilité apparaît face au paysage.

Comme dans un théâtre baroque vide – la plus grande machine jamais inventée pour l’imagination, celle où la fiction a démontré plus de pouvoir que n’importe quelle image ou spectacle –, El Conde de Torrefiel nous invite ici à recréer la capacité disruptive de « futurs annulés », des fantasmagories qui démultiplient la puissance du champ d’action ultime de la vie et du théâtre : le présent.

Néanmoins, les ultrafictions ne proposent pas de solutions – « le fantôme nous oblige à prendre une décision, mais il ne nous dit pas quoi faire » –, elles ne prétendent pas éclaircir l’avenir. Leur opération consiste au contraire à jeter un brouillard, une brume qui déforme la réalité imposée, la brume qui nourrit en son sein le défi de créer de nouveaux paysages à habiter et à performer aujourd’hui.

Notes conceptuelles à partir de conversations avec Fernando Gandasegui