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La diffusion, métier de l’ombre pour femme lumineuse

Ça ne vous aura pas échappé, au Grütli on fait de la production mais aussi de la diffusion. La diffusion, c’est un travail de l’ombre, qui demande un certain nombre de compétences très spécifiques, beaucoup de patience et de ténacité.

Diffuser son travail, c’est-à-dire aller jouer dans une autre ville, région ou pays, c’est le but des artistes une fois que leur création a vu le jour ; mais ça ne se fait pas d’un claquement de doigts, c’est un travail de fourmi, de longue, très longue haleine souvent pour un résultat infime.

Au Grütli, nous avons choisi d’accompagner et conseiller les artistes co-produites, surtout pour réfléchir à ce qu’est le travail de diffusion, quelles sont les stratégies à adopter, comment envisager les tournées.

Pour parler de ce sujet et éclaircir un peu de quoi il s’agit, je rencontre Lise Leclerc, chargée de diffusion aux côtés de Tamara Bacci.


Lise possède une excellente connaissance des réseaux culturels en Suisse et en France, ainsi que dans de nombreux pays d’Europe et au-delà; les différentes manières de fonctionner, les dispositifs existants ici et ailleurs et elle a accompagné beaucoup d’artistes depuis maintenant 20 ans.

C’est un peu par hasard qu’elle commence dans ce métier; elle vit en Normandie, elle a un certain goût pour la culture, une sœur danseuse qui lui permet d’entrer un peu dans le domaine, elle décide alors de s’orienter vers les arts. Après des études universitaires en «conception et mise en œuvre de projets culturels», un stage en production pour un festival de création baroque dans le Nord-Pas-de-Calais, elle s’envole pour le Burkina Faso ; elle y rencontre un chorégraphe, Serge Aimé Coulibaly qui lui offre son premier «vrai» job dans le domaine pour administrer, produire et diffuser un spectacle qu’il créait là-bas.
Ça y est, Lise a le pied à l’étrier et, pendant 6 ans, elle parfait son expérience aux côtés de ce chorégraphe. Par la suite, elle travaille sur des mandats et des événements pour le Centre de développement chorégraphique de Roubaix et le Centre Chorégraphique National, dans des institutions donc, toujours en production et diffusion.
Mais des envies de voyages la titillent, elle a besoin d’aller voir ailleurs comment ça se passe; ce sera l’Australie, à Melbourne au DanceHouse, un centre de danse, puis une incursion au Venezuela.
Elle revient à Lille et, pendant environ 5 ans, elle occupe le poste de chargée de production et diffusion de Latitudes Prod.1, le bureau de production du festival Latitudes Contemporaines.
C’est ensuite à New York qu’on la retrouve pour un stage de 9 mois dans un lieu de résidences d’artistes visuelles à Brooklyn, Residency Unlimited. Dans la Grande Pomme, la vie culturelle est foisonnante, elle y verra beaucoup d’expositions et de spectacles. Mais elle se sent quand même un peu seule : il se passe beaucoup de choses là-bas, les gens sont très créatifs et très motivés, mais ils n’ont pas le temps ni les moyens et les espaces pour créer, donc les projets se déploient sur des années pour vraiment aboutir.
Retour à la case départ, à Lille, où une ancienne collègue lui parle de Tutu Production2, bureau de production et diffusion à Genève qui cherche une personne pour compléter l’équipe; c’est en 2016 que Lise intègre cette structure qui, à ce moment-là, était pratiquement la seule dans le genre, du moins en Suisse romande.
Fondée en 2007, Tutu Production accompagne aujourd’hui sept artistes, parmi lesquelles Phil Hayes, Cédric Djedje ou Ruth Childs (toutes passées par Le Grütli !).
Les taux de travail varient, parfois à 70%, puis ça retombe à 30%, en fonction des activités des artistes. Pas évident donc de se stabiliser, il faut être vachement passionnée! À l’image des artistes avec qui elles travaillent, c’est toujours la même histoire, elles alternent des périodes de trop plein et des périodes de vaches maigres, c’est malheureusement le lot de ces métiers…

Voyager, Lise connaît et aime ça, elle part donc souvent en tournée avec les artistes, surtout au début; cela permet d’apprendre le contexte, autant de la compagnie que du lieu qui l’accueille et de faire partie de l’équipe aussi.
Assister aux répétitions, ne pas se déconnecter de la création, c’est important pour comprendre le processus de travail et pouvoir, par la suite, en parler. Pas facile souvent pour une artiste de «se vendre» soi-même, de parler de son propre travail ; la chargée de diffusion est un trait d’union entre l’artiste et le lieu, avec un peu de distance peut-être, tout en étant très impliquée, une position particulière quand même.
C’est un métier qui ne s’apprend pas sur les bancs de l’université, mais en le faisant : c’est aussi beaucoup lié au relationnel, c’est le temps qui fait que tu comprends comment toi, tu as envie de fonctionner. Et les relations avec les artistes façonnent une manière de travailler particulière. Tout ça prend du temps, beaucoup de temps.

Elle intègre l’équipe du Grütli en 2020, à un petit pourcentage avec Tamara Bacci ; la «cellule» diffusion du Grütli était née!
Dans ce qu’on appelle la diffusion dans un théâtre, accompagner les artistes qui font partie de la saison, c’est intéressant d’être plus dans la réflexion et pas que dans le faire. J’aime beaucoup rencontrer et discuter avec toutes ces compagnies et de brainstormer avec elles, pour être au plus proche de leurs besoins, de là où elles en sont.

Beaucoup d’artistes continuent quand même de penser que la diffusion, ce ne sont que les dates de tournée.
C’est toujours le sujet dont on parle en dernier! On est d’accord, les dates, c’est important, il faut jouer ton spectacle en tournée! Mais c’est une construction sur la durée, c’est une dynamique d’équipe, ça permet de pérenniser le projet artistique. Les lieux par lesquels on passe, les gens que l’on rencontre, ce sont des interactions fortes et ça, ça construit aussi le parcours d’une artiste. La diffusion, c’est aussi une nourriture et pas seulement aller jouer ailleurs. C’est quelque chose qu’on comprend sur la durée, avec l’expérience.

La plupart des dispositifs de subventionnement sont axés sur les seules dates en tournée et pas sur la diffusion, c’est-à-dire sur le travail de réflexion et de préparation. Pas évident de tordre le cou aux vieilles habitudes dans ce domaine.

Ce qui a été précieux pour Lise dans son travail ici, c’est de pouvoir prendre le temps, de discuter, de réfléchir, d’essayer des choses, sans la pression de devoir «vendre» absolument. Et si j’en parle au passé, c’est parce que dès janvier, elle ne travaillera plus pour le Grütli, Tamara Bacci reprenant seule les rênes de la diffusion. En effet, Ruth Childs a obtenu une convention*, elle a donc besoin que Lise la suive plus régulièrement, le travail peut se développer grâce au financement obtenu, sans compter les autres artistes qu’elle suit aussi comme Joël Maillard et Phil Hayes.

Je lui pose ma question rituelle: quel est le spectacle qui l’a marqué parmi les dernières saisons au Grütli? La 7G ! Je ne connaissais pas du tout le travail de Sébastien Grosset, et je pourrais revoir ce spectacle plusieurs fois. À chaque fois, tu entends de nouvelles perspectives sur cette descendance, l’écriture est forte, la musicalité du texte est dingue…
Un spectacle qui n’est pas facile à tourner d’ailleurs! Le sujet, la forme, le texte, l’exigence que cela demande à la spectatrice. Oui, c’est vrai, mais je pense qu’il y des réflexions autres à mener, on peut mettre en place des choses pour que les gens s’intéressent à son travail par un autre biais et ensuite, revenir à ce spectacle-là, peut-être dans 4 ans. Travailler autrement la diffusion, à rebours peut-être.

Nous sommes un peu tristes du départ de Lise, et très heureuses pour elle et Ruth Childs car elles vont pouvoir s’éclater et développer cet aspect ensemble, c’est une réelle aubaine.
Elle va nous manquer et avec elle son calme et sa sérénité, son sourire lumineux et son humeur joyeuse. Elle nous laisse aussi cette belle image d’Hélène Levitt qui illustre ce portrait et qui lui va si bien ; un peu nostalgique, un peu drôle quand même, avec une petite touche d’espièglerie.

Barbara Giongo

1 latitudes contemporaines

2 Tutu Production

Photo : Helen Levitt

* Convention de soutien conjoint
En 2006, Pro Helvetia, en collaboration avec les villes et les cantons suisses, a développé un instrument commun de soutien aux compagnies : les conventions de soutien conjoint.
Les compagnies bénéficient ainsi de moyens financiers constants pendant trois ans pour effectuer l’ensemble de leurs activités, sans devoir demander chaque année un soutien financier ponctuel.
Cette sécurité et cette liberté permettent une projection à plus long terme et favorisent le travail de recherche et d’expérimentation. Les compagnies ont par ailleurs la possibilité de constituer ou de consolider autour d’elles une équipe administrative et artistique.