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La naissance du mini-Beaubourg genevois

Quel bâtiment étrange que cette Maison des Arts du Grütli. Des portes dans tous les sens, « Théâtre » d’un côté, « Cinéma » de l’autre. On se perd dans les couloirs noyés de prospectus de toutes les couleurs. On y trouve des studios de danse, un café restaurant, des ateliers d’artistes, un ascenseur pièce-à-vivre, une bibliothèque musicale, des festivals de cinéma, et bien sûr un théâtre, récemment renommé Centre de production et de diffusion des arts vivants. Mais pourquoi ? Voyage dans le temps, on remonte en 1988, année de l’inauguration de la Maison des Arts du Grütli.

En novembre 1988, le milieu culturel genevois « off » est en pleine effervescence. Après des années à dénoncer l’absence de politique culturelle et le peu de reconnaissance de la créativité genevoise, les « indépendants » (comprendre : ceux qui souhaitent autre chose que la culture institutionnelle de la Comédie française), vivent enfin leur grand moment en recevant les clefs de la toute nouvelle Maison des Arts du Grütli. La presse locale parle de « mini-Beaubourg genevois » et annonce l’avènement d’une « révolution culturelle ». Rien que ça.

C’est en effet un sacré virage pour cette austère bâtisse d’abord connue comme l’École du Grütli. Propriété de la Ville de Genève, le bâtiment est construit en 1873 (sur les plans de l’architecte Georges Matthey). Il réunit des écoles primaires, l’École de dessin et l’École industrielle. Dès 1929, le Grütli devient un « lieu de relégation pour les enfants le plus irréductiblement ascolaires ». Il était coutume de menacer les jeunes récalcitrants « Si tu n’obtiens pas de meilleurs résultats, on t’enverra au Grütli ! ». Mais à partir de 1969, ces élèves intègrent désormais le Cycle d’Orientation de l’enseignement secondaire. Le Grütli se retrouve alors sans affectation officielle.

Pendant quinze ans, les autorités genevoises hésitent et tergiversent. Les milieux culturels alternatifs profitent de cette vacuité de vision politique : le Théâtre Mobile (qui comme son nom l’indique errait précédemment de salles de fêtes en maisons de quartiers) s’installe dans la salle de gym du sous-sol, des artistes bricolent des ateliers temporaires, la mouvance rock (dont État d’Urgence et Post Tenebras Rock) organise des « beaux happenings protests contre une ville qui n’en finissait pas de s’ennuyer » (L’Hebdo, 3 novembre 1988).

En 1983, la création de la FIAT (Fédération des indépendants, artistes et animateurs de théâtre) va jouer un rôle central dans le projet de la Maison des Arts du Grütli. Autour du comédien et metteur en scène Marcel Robert, également fondateur du Théâtre Mobile, se réunissent des acteurs culturels qui défendent la valeur des productions locales non institutionnalisées. Ce sera donc la mission du Grütli. Le cahier des charges des architectes énonçait l’objectif de « créer, dans l’ancienne École du Grütli, un lieu d’accueil pour les manifestations se situant sur les marges de la culture institutionnalisée ».

Sous la supervision des architectes Jean Stryjenski et Urs Tschumi (une légende raconte qu’il aurait été choisi par erreur, confondu avec son homonyme Jean Tschumi), les travaux débutent en 1987, sans connaître l’affectation précise des locaux. Les espaces sont donc pensés de façon modulable, et certaines modifications de dernière minute coûtent cher. La facture finale atteint la modique somme de 28 millions de francs.

Les clefs des espaces sont données à des hommes : Marcel Robert hérite du théâtre, Michel Auer prend la direction du Centre de la photographie, Léo Kaneman lance Fonction Cinéma, Rui Nogueira dirige le nouveau Centre d’animation cinématographique, Alain Gilliand le Café du Grütli. Dans ce bastion masculin, Noemi Lapzeson et l’Association pour la danse contemporaine obtiennent un studio de danse, mais pas de lieu pour présenter des spectacles.

L’ouverture officielle se déroule en grande pompe le week end du 11 au 13 novembre « Avec l’ouverture de la Maison des Arts du Grütli, c’est une épine de moins dans le dos mou de la politique culturelle locale. » écrit Jean-Bernard Mottet dans Le Courrier du 12 novembre 1988 – un journaliste qui deviendra ensuite Conseiller culturel de la Ville de Genève. La foule se presse pour découvrir ce mini Beaubourg genevois, un lieu conçu et aménagé pour et avec des artistes et usagères, intégrées in extremis dans le processus de rénovation. Le nouveau Grütli est un lieu polymorphe, « ni théâtre institutionnel, ni salle de spectacle à louer » (Scoop n° 112, 1988), où devront cohabiter théâtre « off », cinéma, danse et arts plastiques. L’animation du week-end est confiée à la FIAT. Le bâtiment est coiffé de gigantesques serpentins gonflables de Rita Calfoul qui s’agitent dans les airs.

Pourtant, comme le veut la plus belle tradition genevoise, des critiques se font bien sûr entendre. Si le défi architectural est applaudi, les millions dépensés paraissent exorbitants. « Ah ! On ne se refuse rien là dedans ! Du Teo Jakob pour des artistes ! », pestent certains. De même, la diversité des pratiques artistiques et l’absence de pilotage interroge les journalistes de l’époque « Auberge espagnole ou projet culturel cohérent ? ». « Ce bâtiment luxueux est-il compatible avec la contre culture ? », s’interrogent d’autres. « Les routiers de la culture off avouent que l’aubaine est presque trop belle. « Escaliers en bois d’Afrique, ascenseur de palace, granit : c’est trop luxe. » Allez vous prétendre alternatif dans ce cadre ! La Ville de Genève est une maman gâteau qui offre une magnifique maison de 30 millions à ses jeunes artistes ! « Une mère castratrice » s’écrie un pur et dur d’État d’Urgences.

Le soir de l’ouverture, graffitis, traces de pas (parfois à deux mètres du sol) et affichages sauvages viennent couvrir les si tentants murs blancs. Plus marquants, deux cocktails Molotov sont lancés contre la façade. L’un des serpentins prend feu. La Suisse titre « Vandales en action ».

Le Théâtre du Grütli, théâtre expérimental et de recherche.

En 1988, c’est l’incontournable Marcel Robert qui se retrouve projeté premier directeur du théâtre du Grütli, le plus grand espace de la Maison des Arts. Comédien, metteur en scène, fondateur du Théâtre Mobile, du festival du Bois de la Bâtie et de la FIAT, c’est un personnage connu de la vie culturelle genevoise : « Marcel négocie un sacré tournant. Il a passé sa vie à hurler contre l’institution, et il se retrouve soudain dans la peau d’un diplomate » (L’Hebdo, 17 mars 1988).

Il semble être nommé directeur malgré lui : « Je n’ai jamais fait de plans pour diriger ce théâtre, assure-t-il sur le ton d’un gosse qui prétend n’avoir rien demandé au Père Noël ». Il entre en fonction en affirmant : « Je ne crois pas que nous deviendrons une institution. ».

Le théâtre du Grütli est promis dès sa création aux indépendants, ces créateurs hors institutions, représentés principalement par la FIAT. Le lieu se veut un théâtre expérimental donc, ou théâtre de recherche. Après l’effervescence de l’ouverture, le théâtre peine à trouver son rythme de croisière. Si les accueils font salle comble, le public boude les créations locales, qui peinent à s’exporter. Un an plus tard, au moment du premier bilan intermédiaire, Marcel Robert reconnaît « L’existence même du théâtre indépendant à Genève viendra de sa capacité à relever le défi proposé par l’ouverture du Grütli. ».

En 1991, Marcel Robert passe les rênes à Bernard Meister. Il y restera jusqu’en 1999, (assisté notamment par une certaine Michèle Pralong). Il veut faire du théâtre un lieu d’échange et de formation, et invite de jeunes metteuses en scènes et comédiennes genevoises à travailler avec de grandes metteuses en scène contemporaines. Pourtant, il est très critiqué. En mai 1999, dans la dernière interview avant son départ, Bernard Meister déclare au nouveau journal Le Temps : « C’est une délivrance de quitter ce poste. Parce que j’ai le sentiment qu’on n’a pas cessé de me mettre des bâtons dans les roues, que ce soit en coupant dans les subventions ou en menant campagne contre moi. ».

L’arrivée de Philippe Lüscher marque un nouveau virage : il revient à un projet plus local et consensuel. Le directeur prévoit d’y mettre en scène plusieurs spectacles, dont ses propres textes, ainsi que de jouer dans plusieurs des pièces programmées. « Déplacé, voire choquant ? » questionne Alexandre Demidoff dans Le Temps en juin « Que le directeur d’une institution publique programme et produise l’une de ses oeuvres est de fait discutable. Explications de Philippe Lüscher : ‘Je suis un bon acteur et on m’oublie dans les autres théâtres.’ ». Le lieu change de nom au fil des directions. À leur nomination en 2006, Maya Bösch et Michèle Pralong souhaitent affirmer une rupture : dynamiser cette scène indépendante de l’intérieur et créer des passerelles avec la Suisse alémanique et l’Allemagne. Le Théâtre du Grütli devient le GRÜ/Transthéâtre de 2006 à 2012. Le GRÜ s’affirme comme un espace de recherche, d’expérimentation, un laboratoire. Une troupe s’installe à demeure, sur le modèle alémanique. Des installations artistiques monumentales signées Régis Golay marquent les ouvertures de saisons, à l’instar des voitures retournées sur le toit dans la rue du Général Dufour.

De 2012 à 2018, le Théâtre du Grütli reprend son nom original avec Frédéric Polier. Dans la droite ligne de Marcel Robert ou Philippe Lüscher, il promet de favoriser la création et l’accompagnement des compagnies théâtrales indépendantes, et la mise en valeur d’oeuvres populaires. Un directeur « ogresque » selon la journaliste Katia Berger, qui dirige l’institution, met en scène, joue, pratique la musique… « Étant bien entouré dans ce Grütli, j’ai pu exercer mes activités parallèles sans que l’établissement n’en pâtisse. Mieux, j’ai pu ficher la paix à mes collaborateurs ! », affirme-t-il dans son interview de départ en 2018.

En 2018, un nouveau duo de femmes remplace un homme. Sans annoncer de révolution esthétique, le projet s’affirme dans un nom à rallonge mais limpide : Le Grütli – Centre de production et de diffusion des arts vivants. « Avec la nomination de Barbara Giongo et Nataly Sugnaux Hernandez, le théâtre retrouve sa fonction essentielle : faire office de boîte à outils pour les troupes indépendantes » explique encore Katia Berger dans La Tribune de Genève. Un projet au service des artistes qui se résume en quelques mots : tout pour les compagnies.

Photo parue dans La Tribune de Genève, samedi 12 et 13 novembre 1988
©Photo : Leverington
Structures gonflables du groupe Rita Calfoul, conçues par Xavier Juliot

Anne-Claire Adet