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Frankenstein (a love story)

Penser à la renaissance de la créature dans un espace blanc, aseptisé, vide. Nous ne savions pas comment lui donner forme – nous avons d’abord tracé les espaces avec la vague intuition d’une silhouette humaine/fantasmagorique, qui apparaîtrait en transparence, dans un total black. Mais qui/comment l’incarner ?
Quand nous imaginons un nouveau spectacle, il y a une électrocution, une image qui nous fait avancer dans cette aventure tourmentée ; celle de donner corps et rythme à un matériel dramaturgique qui fertilise le terrain du compostage scénique. Et l’image qui revenait le plus souvent et de manière obsessive était l’oeil jaune et aqueux grand ouvert de la créature, sa manière de percevoir les autres, les humains, toujours plus insensibles et cruels envers les personnes non conformes.
Mais comment composer ? Comment mettre ensemble les morceaux dans un espace en continuel mouvement, labouré par le vent, le brouillard et des orages persistants, un espace où l’ambiance gothique et tempêtueuse des montagnes suisses est à sa manière un autre personnage ?
En tant que vieux artisans de la scène que nous sommes, nous avons inventé un espace changeant, où des toiles de fond de matières diverses ne cessent d’être hissées et abaissées, à la manière d’une ancienne machinerie théâtrale ; elles évoquent les voiles de ce navire duquel débarque Victor Frankenstein au pôle Nord, là où il commence, à bout de souffle, son récit.
Un espace qui peut aussi devenir paysage montagneux, jardin sur le lac Léman ou laboratoire scientifique… En répétant, puis en piratant le style caractéristique du gothique et sa commercialisation effrénée, de fausses toiles, des fantômes et des araignées télécommandées apparaissent du masque-même de Frankenstein, masque d’Halloween, avec un background sonore de films d’horreur. Mais qui y a-t-il derrière les stéréotypes de l’icône du monstre hollywoodien qui continue à tant envoûter ?

Dans le travail d’écriture, nous ne sommes pas entrées dans la narration des épisodes complexes et douloureux du roman, mais nous en avons distillé quelques fragments/monologues – DES MOTS – liés aux trois personnages. Nous mettons en scène Mary Shelley ellemême, parce que les récits biographiques (et tragiques) de son passé ont beaucoup influencé la naissance de cette oeuvre/monstre ; Alexia Sarantopoulou la traduit avec une juste dose de sensualité hallucinée. Parmi ces mots, ceux de la créature étaient si poignants que… après plusieurs tentatives, nous avons décidé de mettre le corps d’Enrico à disposition de la créature pour sortir du stéréotype évident et hiérarchique du metteur en scène qui devrait interpréter le docteur Frankenstein (dont les visions tourmentées sont incarnées par une Silvia Calderoni, encore une fois puissamment transfigurée) pour ainsi créer un monstre à partir de rien, un monstre invisible et maudit. Ne rien posséder, ni argent, ni amis, ni propriétés d’aucun type relègue ce it* à la sphère des exclues, des maudites, des sans noms : de celles qui ne naissent pas parfaitement équipées pour l’aventure du monde.
Mais dans cette non-appartenance, il y a aussi un peu de cette fatiguante étrangeté que nous ressentons envers le système du spectacle et l’environnement des institutions théâtrales italiennes, où nos oeuvres restent toujours confinées au registre du bizarre, du freak ou du monstrueux parce que justement non conformes…
Voilà, c’est un peu comme ça que nous nous sentons, c’est pourquoi ce clash sur scène est composé de morceaux tenus ensemble grâce à des coutures qui font fonctionner le spectacle, ce corps sans organes – peuplé de multiplicité, comme dirait Deleuze ; il est un assemblage ouvert d’évocations et de ré-évocations, même pop, qui s’écoule dans un temps sans temps, depuis cet été sans soleil de 1816, vers un futur artificiel qui est déjà passé.

Notes de mise en scène par Daniela Nicolò et Enrico Casagrande
*it = le pronom neutre en anglais

Piratage
Shelley trace une nouvelle géographie de l’horreur [Halberstam, Skin Shoes] : fini les maisons infestées, les châteaux abandonnés, les grottes, le corps devient le lieu de la peur. La chair, et pas l’esprit.
Il est reconnu que Shelley a inventé un genre : la science-fiction. Elle affronte et critique en effet la science de son temps, elle prévient la violence contenue dans chaque projet de connaissance ; les explorations géographiques de ces années-là (le voyage vers le pôle Nord de Walton) sont des projets militaires et coloniaux. Voyages, conquêtes et explorations ont comme contrepartie les explorations anatomiques du corps humain. Les cartes servent (aussi) à dominer. Sur les tables anatomiques de l’Occident, il y a les cadavres de pauvres, de putains, de prisonnières. Voilà d’où viennent les morceaux qui composent la créature.
Elle critique la science et elle se l’approprie aussi. Elle invente un genre nouveau en piratant le gothique, courant littéraire très répandu à l’époque. Piratage des genres littéraires, sexuels.
Les romans gothiques sont des technologies qui produisent le monstre comme un corps extraordinairement mobile, perméable et infiniment interprétable. Le corps du monstre est une machine qui, dans sa modalité gothique, produit du signifiant et peut représenter tous les traits horribles que toute personne qui lit injecte dans la narration. Le monstre fonctionne comme un monde. [Halberstam, Skin Shoes]
Comme dans tout film d’horreur qui se respecte, la créature étrangère assiège la maison, l’intimité domestique, l’identité. Elle les menace, par sa seule présence.
Ilenia Caleo, dramaturge