Les résidences « non-productives » 22-23
Pourquoi avons-nous eu envie de continuer ce programme de résidences improductives ?
Parce que la spécificité de l’approche du Grütli, tant au niveau de l’encadrement des résidences que de l’accompagnement proposé, est toujours d’actualité et pertinente pour les artistes, pour le lieu, pour la collectivité. Il nous semble également important de valoriser les expériences et d’encourager la durabilité de cette initiative constructive, génératrice de nouvelles manières de penser nos métiers, autant du côté des artistes que des structures.
Pour nous, cet encadrement a valeur d’engagement politique ; en effet, la diversification des formes d’accompagnement des artistes, notamment par la mise en place de résidences, sert les intérêts de chacune des actrices impliquées dans la chaîne de la création artistique, qui va des compagnies aux subventionneurs, en passant par les institutions. En premier lieu pour compléter l’accompagnement de la vie artistique genevoise qui manque de ce type d’initiative et, deuxièmement, pour permettre aux artistes de continuer à travailler et approfondir leur travail d’une autre manière, en stimulant la recherche et l’expérimentation.
Ces résidences permettent aux compagnies de continuer à travailler, à se former et à enrichir leur pratique. Grâce à l’appui de l’équipe du théâtre et des partenariats développés, elles rencontrent des interlocutrices pouvant nourrir leurs réflexions et leur recherche.
Pour Le Grütli, ces résidences permettent de continuer à mettre en oeuvre la mission de soutien à la scène artistique au travers d’outils souples, modulables et facilement adaptables, de collaborer avec un plus grand nombre d’artistes d’ici et d’ailleurs en diversifiant les types d’accompagnement et d’utiliser les résidences comme terrain d’expérimentation d’accompagnement des artistes – notamment concernant la production et la diffusion – pour se remettre en question et parfaire notre expertise.
Le terme de résidence artistique recouvre de nombreuses réalités et les programmes de résidence proposent des cadres temporels, financiers, d’accompagnement et de mise à disposition d’outils très différents. L’approche développée par le Grütli prévoit une durée maximale de deux semaines, la résidence est rémunérée et contractualisée, l’artiste peut bénéficier d’un accompagnement adapté et, enfin, la résidence ne présuppose pas la production d’un résultat tangible — d’où le terme «improductive — et possède un caractère expérimental.
Cette manière de concevoir la résidence place le Grütli au cœur d’un changement de paradigme : il nous paraît en effet indispensable d’intégrer aussi rapidement que possible une mutation dans les habitudes des institutions en regard des résidences. La non-rémunération des équipes artistiques pendant ces temps de réflexion et recherche est purement inacceptable, mais malheureusement presque toujours usuelle ; si l’on ajoute à cela l’exigence quasi systématique de production, on se rend compte que la résidence se réduit à un prêt d’espace, valorise le lieu — et seulement le lieu — qui la programme sans prendre en compte l’implication réelle des artistes, la liberté indispensable qu’il faut leur laisser pendant ces moments « suspendus », hors temps de production.
Souvent, le temps à disposition se transforme en temps de préparation de la présentation de « sortie de résidence » à laquelle est convié un public qui, la plupart du temps, s’attend à voir une sorte de « produit fini » et non pas des bribes de réflexion, des essais, des tentatives.
La résidence doit moins être appréhendée comme un dispositif rigide et très encadré que comme un outil malléable qui vise à créer un environnement propice à la recherche et au développement de démarches artistiques.
En fonction des projets, le Grütli propose divers outils d’accompagnement ciblés : du travail à la table (résidence d’écriture, seule ou en groupe dans un espace dédié) à l’accompagnement artistique et administratif (mentorat, mise en réseau, diffusion), en passant par le travail en salle (possibilité d’écrire et de tester idées et intuitions à même le plateau, essais techniques).
Être improductives en somme, cela veut dire valoriser tout ce qui vient avant la production, ce qui est caché, ce qui est dessous et qui ne sera peut-être jamais utilisé (en tant que tel) ; mais quelque chose qui certainement infusera et servira dans un futur plus ou moins proche, modifiera une pratique ou une façon de penser.
Barbara Giongo